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N’est-ce pas le même procédé d’hallucination, soit spontanée, soit provoquée ? Ignore-t-on que saint Ignace, pour s’identifier physiquement aux souffrances de Jésus, se servait d’une lourde croix qu’il portait, comme Suso, de station en station, dans l’église de Manrèse ? Et l’art, enfin, devait-il être ici d’un moindre secours qu’il ne l’avait été pour les Ordres mendiants ? Ne devait-il pas seconder la piété, solliciter la foi, ébranler l’imagination ? Ne fallait-il pas, pour cela, qu’il employât tout ce que le naturalisme a de plus convaincant, la passion de plus grave et de plus sérieux ? — Laissons les mandarins pousser à ce propos leurs plaintes élégantes ! Laissons-les dire avec Renan : « Tout ici-bas n’est que symbole » ; qu’ils s’enchantent à leur aise de la vapeur subtile qui monte de tous les encens, et de la poésie confuse qu’exhalent les débris de toutes les religions : nous avons le malheur d’être des natures grossières, qui ne vivons pas que de rêves, et qui voulons que notre foi soit une réalité.

II


La Compagnie de Jésus n’est donc en beaucoup de choses que l’héritière de la méthode spirituelle des Mendiants : l’art qui en est issu n’a fait que reprendre, avec un vocabulaire plus complexe et des formes plus mûres, les anciennes traditions chrétiennes. De là une dernière moisson de chefs-d’œuvre dominicains et franciscains. Je vous en ai nommé quelques-uns de Bernin ; on allongerait sans peine la liste : on n’aurait qu’à citer dans l’école bolonaise, chez les Carraches et le Guide, chez Dominiquin et Guerchin, chez Sassofferrato et cent autres. Un Cardi de Gigoli, à Florence, se fait des Saint François une véritable spécialité. Combien d’artistes