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pore, il s’efface, il cesse d’être palpable ; les fidèles eux-mêmes n’y pensent qu’avec une attention faible, et leur conception vague finit par devenir une croyance verbale ; il faut leur en rendre la sensation positive, le contact et l’attouchement.

À cet effet, l’homme s’enferme dans un lieu approprié, où chacune de ses heures a son emploi déterminé d’avance ;… bref, une série ininterrompue de pratiques diversifiées et convergentes, le vident des préoccupations terrestres et l’assiègent d’impressions spirituelles… Quel que soit le sujet de sa méditation, il la répète deux fois dans la même journée, et chaque fois il commence par « construire la scène », la Nativité ou la Passion, le Jugement dernier ou l’Enfer ; il convertit l’histoire indéterminée et lointaine, le dogme abstrait et sec, en une représentation figurée et détaillée ; il y insiste, il évoque tour à tour les images fournies par les cinq sens, visuelles, auditives, tactiles, olfactives et même gustatives ; il les groupe, et, le soir, il les avive, afin de les retrouver plus intenses au matin. Il obtient ainsi le spectacle complet, précis, presque physique auquel il aspire, il arrive à l’alibi, à la transposition mentale, à ce renversement des points de vue où l’ordre des certitudes se retourne, où ce sont les choses réelles qui semblent de vains fantômes, où c’est le monde mystique qui semble la réalité solide[1].

Cette merveille de construction morale, cette architecture minutieuse de la création intérieure, cette poursuite de l’évidence dans le surnaturel, nierons-nous ce qu’une telle méthode a d’actuel et de moderne ? Et qu’appellerons-nous l’ « expérience religieuse » ? Mais aussi bien, est-ce autre chose que la méthode franciscaine, celle des Méditations attribuées à saint Bonaventure ? Ne sont-ce pas les mêmes sujets, l’Enfer et le Péché, l’Enfance du Christ et la Passion, ses Apparitions après la mort, les preuves de sa résurrection ?

  1. Taine, Les Origines de la France contemporaine, t. VII, 1893, p. 95.