voit pas sans émotion certaines images passionnées de ce Christ de pitié. L’école de Venise, de Padoue, a trouvé là un de ses plus beaux motifs. Le Christ de Jean Bellin à Milan, celui de Mantegna à Copenhague, avec leurs contours affinés, leur masque ciselé, aminci, spiritualisé par la mort, leurs paupières violettes et leurs lèvres cyanosées, sont des figures inoubliables. Il y a là, dans une exquise perfection plastique, l’idée d’une Passion éternelle, de la souffrance infinie, prolongée dans la mort, par delà le tombeau. Merveilleuse douleur, sans terme, illimitée, surnaturelle…
Mais qu’est-ce que la vue des plaies, au prix de celle du sang qui s’échappe de ces plaies ? Le xve siècle s’abîme dans la contemplation de ce nuage d’écarlate. On songe aux vers du Faust de Marlowe :
Le sang du Christ ruisselle à plein ciel. O mon Christ ![1]
Il faut lire la Passion du dominicain Tauler, les Révélations de sainte Brigitte ou de sainte Gertrude, pour imaginer le degré fabuleux de précision qu’atteignent ces hallucinations étranges. Il faut voir les Christs de Grünewald, tuméfiés, mouchetés, balafrés, criblés d’écorchures, zébrés des ecchymoses de la flagellation, tous les membres rayés de longs filets de sang, pour comprendre quelle image la mystique avait fini par se faire de cette loque d’homme déchirée, suppliciée. Maillard compte cinq mille quatre cent soixante-quinze coups de verges. Sous ces coups, la peau éclata. Le corps n’était plus qu’une plaie. La chair se délayait, fuyait avec le sang. La couronne portait soixante-dix-sept épines et chaque épine trois pointes. Il en coula encore tant de
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See where Christ’s blood streams in the firmament :
One drop of blood will save me : oh, my Christ !…