d’un Dominicain, le fameux Brocard ou Bourcard, qui passa dix ans de sa vie à explorer la Palestine[1]. Ces relations étaient reçues avidement en Europe. Il devait certainement y en avoir d’illustrées. On ne s’expliquerait pas autrement les circonstances si précises qui se rencontrent dans les ouvrages d’artistes certainement sédentaires : c’est tantôt un palmier, tantôt un monument comme la mosquée d’Omar, ici un minaret, là les petites calottes percées d’yeux en dés à coudre qui couvrent les hammams ; ce sont des types de moricauds, de Tartares, de Mongols[2]. Nous croyons avoir inventé la couleur locale : elle était née bien avant nous. Mais la curiosité pour les choses lointaines n’était pas comme la nôtre un vain désir de changement : c’était encore une piété. On voulait rendre à l’Évangile son cadre naturel. Devant ces détails qui nous amusent, le fidèle d’autrefois s’agenouillait en silence et se prenait à rêver.
Le rêve, en effet, est le dernier moyen et la suprême ressource du moyen âge pour connaître les choses et les réaliser. Ce fut sa grande machine à supprimer le temps. Sous cette cloche pneumatique, qui fait le vide autour de lui, le rêveur parvient à l’absorption complète et finit par s’identifier immédiatement à son objet. Jacques de Voragine, dans un sermon sur saint François, a un mot remarquable : il fait cinq points des cinq stigmates, et le premier de ces points est la « puissance de l’imagi-
- ↑ Son voyage a été publié par Laurent, Peregrinatores medii aevi quatuor, Leipzig, 1864. Cf. sur Brocard, la notice de Victor Le Clerc, Hist. Litt. de la France, t. XXI. p. 180.
- ↑ Par exemple, à Santa-Croce, chapelle Baroncelli, fresques de Taddeo Gaddi : vue de Jérusalem dans la Rencontre de Joachim et de sainte Anne. Dans la Déposition, par un élève de Taddeo, un palmier. Dans le Nord, cinquante ans plus tard, on fait usage de documents plus positifs encore : ainsi, dans les Maries au sépulcre, de Van Eyck, ou dans une petite Crucifixion flamande du musée de Berlin. Cf. Rosen, Die Natur in der Kunst, Leipzig, 1903 ; Ch. Diehl, La peinture orientaliste en Italie au temps de la Renaissance. Revue de l’Art, janv.-fév. 1906.