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Contre la forêt vierge il me faut batailler :
Là, grimpant au bouleau quand l’obstacle m’arrête,
Ici, me cramponnant au souple coudrier.
Et, quoique sans péril, la lutte est belle et rude,
Plus je m’engage avant dans cette solitude.
Il me faut contourner d’énormes rochers roux
Que, de loin, j’avais pris pour de simples cailloux ;
Les buissons épineux où mon pas s’enchevêtre,
Les bocages touffus de l’érable et du hêtre,
M’avaient paru d’en bas un tapis de gazon.
Toute une virginale et simple floraison
Étale ses couleurs sous l’épaisse ramure.
Je cueille le bluet, la noisette, la mure,
Et certain petit fruit rouge et délicieux
Qui croît en abondance au milieu de la mousse.
Ô pins harmonieux, comme votre ombre est douce !
Je dîne en un palais où dîneraient les dieux :
Ma nappe immaculée est un fragment de marbre,
Mon cellier est un lac endormi sous les bois,
Et l’écorce argentée est la coupe où je bois.
Un rêve musical frissonne dans un arbre
Où d’invisibles chœurs gazouillent un concert.
Dans ma coupe d’écorce, au ruisseau qui murmure,
Une dernière fois je puise l’onde pure,
Et, convive poli, quand finit le dessert,
Je bois à mon hôtesse, à la grande Nature.

Le souci d’arriver abrège mon repos.
Je reprends, maintenant plus fort et plus dispos,
À même la forêt l’interminable lutte,
Car déjà le soleil penche vers son déclin,
Et je crains que la nuit ne m’arrête en chemin.