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AURORE




Règne en paix sur le fleuve, ô solitude immense !
Ô vent, ne gronde pas ! ô montagnes, dormez !
À l’heure où tout se tait sous les cieux blasphémés,
La voix de l’Infini parle à la conscience.

Entre ces deux géants dont le roc éternel,
Surgi du gouffre noir monte au gouffre du rêve,
La pensée ennoblie et plus grande s’élève
De l’abîme de l’âme à l’abîme du ciel.

Quel monde vois-je ici ! d’où vient la masse d’encre
Qui baigne sur ces bords le granit et le fer ?
Sur quelle nuit, sur quel néant, sur quel enfer
Frémit cette onde où l’homme en vain jetterait l’ancre ?

Du haut des sommets gris, l’ombre comme un linceul
Tombe sur la tristesse et sur la solitude ;
Mon cri trouble un instant la morne quiétude :
Dans l’ombre qui descend l’écho me répond seul.

Rien de ce qui bourdonne et rien de ce qui chante
Ou hurle, ne répond : ni le loup ni l’oiseau ;
Rien de ce qui gémit, pas même le roseau,
Ne répond en ces lieux que le mystère hante.

Ô Baie Éternité, j’aime tes sombres flots !
Ton insondable lit s’enfonce entre des rives
Dont les rochers dressés en cimes convulsives,
Gardent tragiquement l’empreinte du chaos.