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Là-bas, un banc de marbre argenté par la lune,
Posé comme un joyau sur la falaise brune,
Charme d’un gai reflet le triste Saguenay ;
Plus loin, le marbre pur en rose se colore,
Comme si la splendeur d’une ancienne aurore
Avait dans sa noblesse enfermé des rayons ;
Ailleurs, groupant leur masse en épais bataillons,
Les amas de granit, au gré de leur caprice,
Rapprochent leurs flancs nus sillonnés de ravins,
Escaladant le ciel de gradins en gradins,
Et le tournant subit démasque un précipice ;
Partout les rochers gris brunissent à fleur d’eau :
Au pied de la falaise, au détour de la crique,
Court un ruban de fer où le flot magnétique.
En troublant la boussole a marqué son niveau.

Je vogue glorieux dans un rêve de Dante !
Les monts qu’a devinés l’immortel Florentin,
En trompant mon regard rapprochent le lointain,
Par leur fronton géant que l’ombre encore augmente.

Escarpés par endroits, ailleurs courbés en pente,
Ils masquent l’horizon, de leur profil hautain ;
Et, défiant le ciel que tant de gloire atteint,
Ils dressent leur stature énorme et menaçante.

Pour affronter l’attaque inlassable du Temps,
En guise de créneaux une forêt couronne
Leur mur fortifié que maint cap bastionne.

Mais ce rempart m’encercle, et je crois, par instants,
Que son immensité fatale m’emprisonne
Comme en un bagne affreux construit par des Titans.