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Du puissant albatros il avait l’envergure ;
Lent et mystérieux et grave, il descendait
Au fixe déploiement de ses ailes royales ;
Son large vol plané décrivait des spirales.
Impénétrable et froid, son regard se perdait
Plus loin que la pensée et plus loin que les astres.
Alors je me suis dit que l’effroi des désastres
Allait dans le passé rester enseveli,
Car j’avais reconnu le bienfaisant Oubli.

Mon cœur a murmuré tout bas dans ma poitrine :
— Bons esprits qui venez des grands cieux inconnus,
Dans ma nuit sans repos soyez les bienvenus ;
Au malheureux errant versez la paix divine !

Le Silence ploya son aile de velours,
Et, précédant l’Oubli, comme il le fait toujours,
Il vint dans mon canot s’installer à la proue.
Mais l’Oubli près de moi sur la poupe s’assit ;
De ma tempe glacée il approcha sa joue.
Sur mon front douloureux que ridait le souci,
L’ange daigna poser ses lèvres éternelles,
Puis il m’enveloppa dans l’ombre de ses ailes.
Son âme m’envahit, et je sentis enfin,
Aux célestes frissons de ce baiser divin,
La paix de l’Infini dans mon être descendre.

L’Oubli se redressa debout derrière moi ;
Je vis son envergure immense au vent se tendre,
Et dans le noir néant plonger son regard froid.
Le doux Silence ouvrit ses ailes veloutées…
Et le canot glissa sur le gouffre, sans bruit,
Cependant que le souffle apaisé de la nuit
Caressait doucement ses voiles enchantées.