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LE SILENCE ET L’OUBLI




Un vent faible soufflait après l’âpre tempête.
J’aperçus, en doublant le dangereux rocher,
Deux anges qui tournaient au-dessus de ma tête ;
Peu à peu, je les vis du canot s’approcher.

L’un tenait son index en croix avec sa lèvre.
Bien qu’il trahît l’ardeur d’une mystique fièvre,
Son regard tourmenté pour l’âme était muet ;
En vain j’y voulus lire un suprême langage,
Comme en ceux des mortels dont la lèvre se tait.
Un fugitif sourire effleura son visage,
Quand de ses yeux ardents j’affrontai le reflet,
Au bleu rayonnement de l’antique veilleuse.
Son aile lunulée et double rappelait
Du tremblant papillon l’aile silencieuse,
Par son brillant velours et son vol indécis
Plein de grâce légère et de souple élégance.
À son geste, à ses yeux, à son vol j’ai compris
Que ce frère de l’ombre était le doux Silence.
L’autre levait son front serein vers l’Infini.
Le calme auréolait sa figure impassible,
Et pourtant la pitié divine était visible
Sur la sombre grandeur de ce masque bruni
Par le hâle éternel de l’empire nocturne,
Ou par quelque soleil depuis longtemps éteint.
Il portait à son pied le signe de Saturne,
Ce vieux dispensateur du temps et du destin,
Comme s’il eût voulu mépriser ce qui dure.