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LE DÉSESPOIR




Et le Chef m’apparut devant la vieille église.
Un haut panache blanc ornait sa tête grise.
Il s’approcha de moi, lent et majestueux.
Mes sens m’ont-ils trompé, dans cette affreuse veille ?
Non ! Il était bien là : je l’ai vu de mes yeux,
Et sa voix d’outre-tombe a frappé mon oreille :

— Moi non plus, ô vivant, je ne t’ai pas compris,
Mais je t’ai vu pleurer sur ma race, et je t’aime !
Ne tremble pas ! Qui donc es-tu, visage blême
Qui hantes la tempête où veillent les esprits ?

— Je suis un trépassé relégué dans la vie !
Ô fantôme bercé sur l’aile des grands vents,
Tu me comptes à tort au nombre des vivants.
Vieux chef dont les regrets prolongent l’agonie,
Roi des monts éternels et du grand fleuve noir,
Ô vieillard du passé, je suis le Désespoir !
Et ma pensée au fond du souvenir voltige…
Et le destin d’un peuple agonisant m’afflige…
Je suis un trépassé… Dans le bourdonnement
De la vie attardé, je trouve mon tourment ;
Mais parfois, sur ma lèvre où le sanglot expire,