Ce poème, qui devait être terminé le 1er mai 1912 renferme
l’âme de Charles Gill. Il plane parfois très haut, et redescend
sur terre ; il a de subits et puissants essors et de soudaines
chutes. La carrière prématurément close de l’auteur l’a
empêché de suivre le cours normal de sa pensée et d’en
soutenir le vol. Son plan était aussi trop vaste, parfois confus ;
ce que nous possédons du poème manque d’unité. Certains
épisodes détonnent dans une action se passant toute au
Canada : par exemple, l’apparition, en plein Saguenay, du
spectre de Dante. Effet, sans doute, des précipices vertigineux,
des insondables profondeurs de l’eau noire évoquant les
abîmes infernaux ! Il reste quand même les somptueux
alexandrins.
Qu’aurait fait Charles Gill de ces morceaux épars, dont quelques-uns existaient bien avant la conception du poème où ils devaient entrer, bon gré mal gré ? Comment les aurait-il reliés, et quelle matière aurait constitué la liaison ? Nous nous souvenons de certaines pièces destinées à souder les parties isolées et qui ne se retrouvent pas dans ses cartons. Nous croyons que la version la moins incomplète est ailleurs.
Quoi qu’il en soit, nous pensons que les fragments de cette œuvre unique ressemblent à des assises de monument commémoratif, dignes d’être pieusement déposées sur la tombe du poète qui, le premier parmi nous, rêva de dédier un grand poème à la gloire de son pays.
Albert LOZEAU.
Montréal, mai 1919.