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Et sa bouche, où sourit le sang sucré des mûres,
Câlinent lentement de magiques murmures :
« Heureux les cœurs aimants, car ils seront aimés !
« Fleurissez vos labeurs de songes parfumés,
« Cueillez les perce-neige et les roses en flammes,
« Les lèvres des enfants et les lèvres des femmes !
« Laissez venir à moi les beaux adolescents.
« Qu’importent les péchés ? Vous êtes innocents,
« Puisque votre sourire a cherché mon sourire.
« Souriez, pardonnez, passez et laissez dire. »

Il parle ; et ses doux yeux ensorcellent, ses yeux
D’héliotrope, où meurt le mâle azur des cieux.
Sa fraîche haleine, où traîne un velours de verveines,
Filtre languissamment un philtre dans les veines
Même des Violents, même des Envieux,
Ployés sous ses regards miséricordieux.
Et si les lâches mains de ces jeteurs de pierres
S’efforcent de tirer un pleur de ses paupières,
Il sait que le frisson de sa passive chair
Desséchera leurs os mieux qu’un feu de l’enfer.

Et le voilà qui va par les villes jonchées
De bouquets effeuillés sur des palmes couchées,
D’argent éparpillé, de bijoux écrasés,
D’armures, ô triomphe ! et de glaives brisés,
Il va, le calme Éphèbe, à travers les mystiques
Tourbillons de l’encens et des tendres cantiques,
— Lys vierge épanoui dans les rosiers charnels, —
Par le royaume en fleurs des baisers éternels.