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III


Toutes les visions ont disparu, mais mon
Triste cœur arrose par les pleurs du Démon
Et tout brûlant encore des flammes de ses lèvres
Roulait mille pensers où bouillonnaient les fièvres.
— « Quel monstre fais-tu donc, disais-je, ô Dieu puissant !
« Quel noir Baal gorgé de larmes et de sang !
« Les fétiches honteux, les idoles terribles,
« Les dieux mangeurs d’enfants moins que toi sont horribles.
« Ta sagesse destine aux souillures les fleurs ;
« Tu créas par plaisir le monde et les douleurs
« Et les milliers et les milliers de maux infâmes
« Qui gangrènent les chairs et torturent les âmes.
« C’est à toi que l’on doit et les os cariés,
« Et le sang noir dans les muscles putréfiés,
« Et la lèpre et la peste et les hideux ulcères,
« Et tous les maux secrets qui rongent nos viscères,
« Et l’abrutissement des cerveaux ramollis.
« Nous te devons aussi les jeunes cœurs salis
« Et la honte, et l’envie, et le meurtre, et la guerre !
« Que tes bienfaits sont grands, ô Seigneur, notre Père,
« Toi qui fis les péchés et la mort et l’enfer,
« Le crime et le bourreau, la victime et le fer !
« Triple lâche, abusant de ta force infinie
« Pour jouir de nos maux et de notre agonie,
« Sache que nous valons mille fois mieux qu’un Dieu !
« Notre mépris te frappe au fond de ton ciel bleu,