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Giraud a l’allure romantique plus théâtrale et le verbe plus martelé. Hors du siècle son recueil capital, est une œuvre tout ensemble des plus vibrantes et des plus hiératiquement formulées. Le poète y jette le cri de son âme dédaigneuse d’un siècle mesquin, méprisante des réalités hostiles de l’existence, du triomphe médiocre et bourgeois. Impassible, à la manière des vrais parnassiens, M, Albert Giraud s’enflamme dès qu’il faut défendre les droits de l’art et de l’artiste, dès qu’il s’agit d’exalter le passé héroïque et légendaire des temps fabuleux où les poètes étaient rois : ces fastes abolis, ces gloires périmées, il les évoque en vers d’une joaillerie plastique et choisie, d’une harmonie sonore et retentissante. Ainsi, le dilettantisme de sa nature se mêle-t-il étrangement à la conception hautaine de son esthétique. Ses accents de vaticinateur surexcité n’ont point le furieux désordre que l’on relève chez M. Verhaeren. Ils sont exactement coulés en des moules classiques, et la physionomie du psychologue pénétrant se double d’une figure altière de peintre grandiose. Le culte des beaux vers, des images neuves, des périodes cadencées, l’a élevé à une allure suggestive de beauté correcte et véritablement sensationnelle. Lisez plutôt ces vers, d’un romantisme un peu trop accusé peut-être, mais où la haine des vulgarités est clamée dans une sorte de douloureuse exaltation :

Oh I que n’ai-je vécu, l’esprit fier, l’âme forte, Sous la neigeuse hermine ou le fauve camail. Dans ces siècles vermeils dont la lumière morte Allume encore en moi des splendeurs de vitrail Car le poète alors, en croupe sur les races, Leur enfonçait son rêve à grands coups d’éperon, Et sa bouche, à travers le fracas des cuirasses, Y sonnait son espoir comme dans un clairon.