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LE


POÈTE MALHEUREUX.





Vous que l’on vit toujours chéris de la fortune ;
De ſuccès en ſuccès promener vos deſirs,
Un moment, vains mortels, ſuſpendez vos plaiſirs :
Malheureux… ce mot ſeul déjà vous importune ?
On craint d’être forcé d’adoucir mes deſtins ?
Raſſurez-vous, cruels ; environné d’alarmes,
J’appris à dédaigner vos bienfaits incertains,
Et je ne viens ici demander que des larmes.
                                     
Savez-vous quel tréſor eût ſatisfait mon cœur ?
La gloire : mais la gloire eſt rebelle au malheur,
Et le cours de mes maux remonte à ma naiſſance.
Avant que dégagé des ombres de l’enfance,
Je puſſe voir l’abîme où j’étois deſcendu,
Père, mère, fortune, oui, j’avois tout perdu.
Du moins l’homme éclairé prévoyant ſa misère
Enrichit l’avenir de ſes travaux préſens ;
L’enfant croit qu’il vivra comme a vécu ſon père,
Et tranquille ; s’endort entre les bras du temps.