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Ce protecteur qui marche en ſemant les promeſſes,
Même en trompant ſes voeux, l’abaiſſa-t-il jamais ?
Burrhus qui va comptant les ingrats qu’il a faits,
Lui vient-il reprocher ſes honteuſes largeſſes ?
Au malheureux toujours on trouve des forfaits,
Et les plus généreux vendent cher leurs bienfaits.
Pour qui les verds boſquets ouvrent-ils leurs ombrages ?
Les tranquiles étangs, les tortueux vallons,
Les antres toujours frais, les ruiſſeaux vagabonds,
Les chants du peuple ailé, ſes jeux dans les feuillages,
Le paiſible ſommeil ſur des lits de gazon,
La juſtice, la paix, tout rit à Philemon.
Oh ! combien j’euſſe aimé cette beauté naïve,
Qui d’un époux abſent preſſentant le retour,
Raſſemble tous les fruits de ſon fertile amour,
Dirige des aînés la marche encor tardive,
Et portant dans ſes bras le plus jeune de tous,
Vole au bout du ſentier par où deſcend leur père ;
Elle le voit : grand Dieu, dérobe à ma miſère
L’aſpect de leurs plaiſirs dont mon cœur eſt jaloux…
N’eſt-ce donc point aſſez des tourments que j’endure !
Quoi ! je porte un cœur noble, & d’un œil plein d’effroi,
Je lis ſur tous les fronts le mépris & l’injure ?
Le dernier des mortels eſt plus heureux que moi ?
Ah ! briſons ces pinceaux ! tombe, lyre inutile !
Périſſe un monde injuſte ! Et, toi qui m’as perdu,
Gloire, phantôme ingrat, à la brigue vendu,
Va, je perds ſans regret ta couronne futile,
C’eſt le prix de l’intrigue, & je ne puis ramper.
                                           
Si pourtant, les deſtins ceſſoient de me frapper…
Des hommes quelquefois l’injuſtice ſe laſſe…