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Mais, dira-t-on, si la poésie est avilie, si les poëtes même sont méprisés, c’est que nous ne voyons plus de bons ouvrages en vers. Oui ; mais vous exigez qu’un poëte débute par un Œdipe; vous ne donnez point au génie le temps de se développer, de s’élever insensiblement, et d’aller en son vol toucher la voûte du ciel. S’il n’éclate d’abord, vous soupçonnez qu’il ne se signalera jamais; vous l’anéantissez. Corneille fut un grand poëte; parut-il au grand jour Rodogune ou Cinna à la main? Jamais, jamais il n’eût enfanté ces deux prodiges, si, vivant dans notre siècle, il se fût ouvert la carrière des lettres par Clilandre. Tout a dans la nature une gradation imperceptible. Le fleuve, vers sa source, ne roule point d’abord des eaux profondes et majestueuses. Le soleil naissant est faible et peu radieux. L’aigle, avant de s’élever aux nues, rase longtemps la surface de la terre. Et vous voulez que le poëte seul soit à son aurore ce qu’il doit être à son midi!

J’ose espérer que le public aura quelque indulgence pour mon extrême jeunesse; mais je le prie de m’avertir de mes défauts. Je recevrai ses avis avec toute la docilité d’un homme qui veut, en s’efforçant de faire des progrès, mériter ses applaudissements : consolé par cette pensée, que si l’on trouve des fautes à corriger dans mes pièces, c’est une preuve que le tout n’est pas mauvais.