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Je suis consterné, épouvanté, de sentir que l’interrogatoire va se clore et que le cas particulier de Cordier va demeurer si peu, si mal éclairé. Car je ne sais presque rien de lui, mais il m’apparaît déjà que ce garçon n’a rien de féroce, rien d’un bandit. Il ne me semble même pas impossible qu’il ait accompagné le marin, poussé par une sorte de sympathie vague… Ne saurais-je inventer nulle question, puisque, juré, j’ai le droit d’en poser, qui puisse jeter ici quelque lueur, et m’éclairer moi-même — car peut-être que je m’abuse et qu’Yves Cordier, après tout, ne mérite point la pitié. Cette question, je n’aurai plus le droit de la poser, dès que les plaidoiries auront commencé. Je n’ai plus qu’un instant, et déjà l’avocat de Cordier se lève… Alors, d’une voix étranglée, le cœur battant, je lis ceci, que je viens d’écrire, craignant sinon de ne pouvoir trouver mes mots et achever ma phrase :

— Monsieur le Président, pouvons-nous savoir quelle somme a été prise à la victime et dans quelle proportion le partage s’est fait ensuite entre les accusés ?

Le Président procède à un court interrogatoire et nous apprenons : que 92 francs ont été soustraits à Braz ; — que, sur cette somme, 5 francs ont été donnés à chacune des deux femmes pour acheter leur silence ; — que Cordier a reçu 10 francs, qu’il remettait aussitôt après aux agresseurs ; et que, du reste de la somme, soit 72 francs, Lepic et Goret ont gardé chacun la moitié.

    je ne l’ai donnée au juge, c’était pour ne pas qu’elle se présente au Palais. ”