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de l’agression, il était ivre et il est vraisemblable qu’il n’ait pu se rendre que vaguement compte de la manière dont on l’attaquait et du rôle particulier de chacun de ses agresseurs. Nous n’aurons donc, pour nous éclairer, que le témoignage des intéressés. Or, chacun des accusés proteste de son innocence ; du moins cherche-t-il à restreindre le plus possible sa part de responsabilité. (Lepic, plus catégorique, niera même avoir été de la partie : on s’est trompé ; ça n’est pas lui.)

On procède à l’interrogatoire de Cordier :

C’est sans doute un bien méchant gars : il a déjà subi trois condamnations pour vol ; il n’avait que quatorze ans la première fois ; il est rendu à ses parents ; il recommence ; de nouveau on le renvoie à sa famille ; à la troisième fois on le confie à une colonie disciplinaire. Mais il prend en telle horreur ce régime, qu’il s’enfuie et retourne près de sa mère. Madame Cordier est la veuve d’un marin ; elle tient une maison de blanchissage et emploie plusieurs ouvrières. Yves Cordier est le dernier de cinq enfants. Le puiné est au régiment ; les autres sont placés, mariés, font une honnête carrière ; toute la famille est honorablement notée. Le cadet, celui qui nous occupe, semble particulièrement aimé ; et non seulement de sa mère et de ses frères, mais également par les voisins. Ses patrons donnent de lui de bons témoignages ; on nous lit une lettre d’un de ceux-ci, qui parle avec éloge de “ sa conduite et sa