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Cette indulgence outrée et absurde s’explique peut-être dans le cas particulier par l’attitude extraordinaire de la plaignante, qui avait demandé l’acquittement de ses agresseurs et aurait même, paraît-il, manifesté l’intention d’adopter l’un d’eux…[1] Mais est-il besoin de faire remarquer que les jurés qui, eux, doivent avoir la tête solide et posséder l’expérience de la vie, ne pouvaient subir le même accès de niaise sentimentalité (ce “ mais ” n’est pas très chrétien, Monsieur le chroniqueur) et qu’ils ont, par conséquent, manqué à leur devoir en refusant de condamner des coupables avérés, et que rien ne leur signalait comme particulièrement intéressants ?

Cet étrange verdict, que la presse a condamné de façon unanime, etc.

En ce temps, ou les crimes se multiplient, où l’audace et la férocité des malfaiteurs dépassent toutes les bornes connues (ô Flaubert !), où les jeunes gens même entrent si hardiment dans la mauvaise voie, etc… ”

Qui dira la puissance de persuasion — ou d’intimidation — d’une feuille imprimée sur des cerveaux pas bien armés pour la critique, et si consciencieux pour la plupart, si désireux de bien faire !…

— Le Président m’a dit que jusqu’à présent nous avions très bien jugé, répétait, il y a quelques jours, un des jurés ; et ce satisfecit du Président courait de bouche en bouche, et chacun des jurés s’épanouissait à le redire. Ils en rabattirent bientôt.

  1. Combien ne serait-il pas intéressant de connaître le résultat de cette rare expérience !