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pas aussi pour cela que Mme Gilet ne voyait pas le couteau et croyait qu’il frappait avec son poing ?

Rien de tout cela n’est dit par Me R., l’avocat défenseur de la victime. Il s’appuie sur le rapport des médecins pour demander aux jurés de ne pas aller plus loin que les experts et de reconnaître à l’accusé une responsabilité atténuée.

J’ai longuement insisté sur ce cas, car il fit éclater la lamentable incompétence des jurés. Il ressortait avec évidence de l’instruction, des témoignages, du rapport des médecins, que l’idée de tuer n’était pas nettement établie dans le cerveau de Charles ; qu’en tout cas l’on n’avait pas affaire à un professionnel du crime, et plus peut-être à un sadique qu’à un assassin, que si jamais, enfin, crime pouvait être dit passionnel…

Après une demi-heure de délibération, on les voit rentrer dans la salle, congestionnés, les yeux hagards, comme ébouillantés, furieux les uns contre les autres et chacun contre soi-même. Ils rapportent un verdict affirmatif sur la seule question de meurtre posée par la cour ; quant aux circonstances atténuantes que demandait l’accusation elle-même peu disposée pourtant à la clémence — ils les ont refusées.

En conséquence de quoi Charles est condamné aux travaux forcés à perpétuité.

De hideux applaudissements éclatent dans la salle ; on