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M. le Docteur X… est appelé à parler de Charles ; il nous le présente d’abord comme un garçon sain et bien portant ; aucune tare dans son atavisme. Mais il a six doigts à une main ; il est sujet à des vertiges, à des pertes de mémoire ; il a de la difficulté à s’orienter, des défauts de prononciation (j’avoue que je ne les ai pas remarqués), l’appréhension de faire une chute dans la rue. Le Docteur parle encore d’instabilité de jugement, d’indécision et d’absence de volonté (et n’est-ce pas là ce qui permit cette brusque transformation du désir insatisfait en énergie ?), puis conclut enfin en disant que, sans être dans un état de démence, dans le sens où l’entend l’article 64 du code pénal, “ l’examen psychiatrique et biologique, ainsi que la nature d’impulsivité spéciale de son crime, indiquent une anomalie mentale qui atténue sa responsabilité ”.

“ Son acte, avait-il dit quelques instants auparavant, a été accompli sans que l’idée de tuer ait été bien précisée dans son cerveau. On en trouve la preuve dans la distribution des coups de couteau que j’ai décrite ”.

Comment l’avocat défenseur lui-même n’ira-t-il pas plus loin et ne dira-t-il pas que, non seulement Charles ne voulait pas tuer, mais même qu’il tâchait obscurément, tout en mutilant sa victime, de ne pas la tuer ; que, sans doute, précisément pour ne pas la tuer, il avait empoigné le couteau à même la lame, et que c’est seulement ainsi que l’on peut expliquer que les coups fussent à la fois forts et causant des blessures si peu profondes, et que Charles eût des coupures aux doigts (rapport du médecin). Et n’est-ce