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fût-elle légère, le juré est enclin à les voter, et d’autant plus que le crime est plus grave. Cela veut dire : oui, le crime est très grave, mais nous ne sommes pas bien certains que ce soit celui-ci qui l’ait commis. Pourtant il faut un châtiment : à tout hasard châtions celui-ci, puisque c’est lui que vous nous offrez comme victime ; mais, dans le doute, ne le châtions tout de même pas par trop.

Dans plusieurs affaires que j’ai été appelé à juger, j’ai été gêné, et tous les jurés qui jugeaient avec moi parleraient de même, par la grande difficulté de se représenter le théâtre du crime, le lieu de la scène, sur les simples dépositions des témoins et l’interrogatoire de l’accusé. Dans certains cas, cela est de la plus haute importance. Il s’agit par exemple ici de savoir à quelle distance d’un bec de gaz une agression a été commise. Tel témoin, placé à tel endroit précis, a-t-il pu reconnaître l’agresseur ? Celui-ci était-il suffisamment éclairé ? — On sait la place exacte de l’agression. Sur la distance où l’agresseur se trouvait du bec de gaz, tous les témoignages diffèrent : l’un dit cinq mètres, l’autre vingt-cinq… Il était pourtant bien facile de faire relever par la gendarmerie un plan des lieux, dont au début de la séance on eût remis copie à chaque juré. Je crois que dans de nombreux cas ce plan lui serait d’une aide sérieuse.