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Et un autre témoin : — l’s’saoule et laisse ses enfants crever d’faim.

Ils couchent tous, le père, la mère et les deux petits de six et trois ans, dans la même pièce sans lit, sur la paille. On prétend que déjà précédemment il avait voulu toucher la petite. Une fois il la fît entrer avec lui dans un sac ; mais il avait coutume de coucher dans un sac, et comme on était en hiver, il peut dire que c’était pour se réchauffer. On ne sait. La petite ne veut ou ne peut rien dire. Sur la chaise où on la fait monter, pour être plus près de l’oreille du président, elle pleure silencieusement et par instant un gros sanglot la secoue. On n’obtient d’elle pas le moindre mot. On dirait qu’elle a peur d’être punie elle aussi. (Elle est à l’Assistance Publique. Un homme en livrée, à gros boutons de cuivre, l’avait amenée, qui reste assis sur un des bancs des témoins.)

Puis vient la femme R. épouse de l’accusé. Elle ne serait point trop laide si sa face n’était si terriblement boucanée. Elle a l’aspect d’une “ femme de journée ”. Ses cheveux sont tirés en arrière et lustrés ; un petit châle de laine noire tombe sur un tablier bleu.

Le Président. — Qu’est ce que vous avez fait pour obvier à cet inconvénient ?

Le témoin. — ???

Il arrive plus d’une fois que le Président pose une question en des termes complètement inintelligibles pour le témoin ou le prévenu. C’est le cas.