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fois. De vingt à vingt-quatre ans il travaille à D. où il retrouve Bègue, un ancien camarade de la colonie pénitentiaire ; c’est ensemble, toujours ensemble qu’ils vont opérer. A chaque fois qu’ils cambriolent, on retrouve dans la cuisine les restes d’un festin impromptu ; sur la table, des bouteilles vides et deux verres ; et des étrons sur le tapis du salon. A chaque fois, ils ne se contentent pas de voler, mais font toujours le plus de dégâts possible ; dans telle villa où ils n’ont pu trouver d’argent, ils laissent en évidence un couvercle de boîte d’amidon, où ces mots, de l’écriture du Bègue : “ Bande de cochons, fallait laisser de l’argent.”

Ce Bègue, six mois précisément avant le jour où nous sommes, a été condamné aux travaux forcés à perpétuité, pour avoir dévalisé plusieurs villas à N. et à P. “ avec des circonstances de violence donnant à l’affaire une tournure particulièrement grave ”, dirent les journaux. A ce moment un des accusés faisait défaut : c’est Prosper qu’on arrêta trois mois après à Y. où il s’était réfugié après de nombreuses pérégrinations en Espagne.

Bègue avouait tout, paraît-il. Prosper nie tout, au contraire ; il se prétend victime d’une méprise, victime de sa ressemblance avec Bouboule ; car Bouboule, dit-il, ce n’est pas lui. Cette déclaration soulève un grand rire dans la salle.

Encore qu’elle ne me persuade pas, je voudrais pouvoir suivre un peu mieux sa défense ; mais le Président la bouscule et ne laisse pas Bouboule ou Prosper s’expliquer.