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Et quand cette même nuit le feu se déclare chez la veuve Bernard et que les voisins l’appellent et crient : “ Au feu ! Au secours ! ” lui, le plus proche voisin et le plus proche parent, s’enferme et ne reparaît qu’un quart d’heure après… Du reste il ne nie rien. Le second incendie, c’est lui qui en est l’auteur, ainsi que du premier et des deux autres qui suivirent.

Le Président. — Alors vous ne voulez pas dire pourquoi vous vous les avez allumés ?

L’accusé. — Mon Président, je vous dis que j’avais aucun motif.

— C’est vraiment fâcheux qu’il avait ce goût-là, dit la veuve. Autrement on n’avait pas à se plaindre de son travail.

Appelé à témoigner, le médecin assermenté nous parle de l’étrange soulagement, de la détente que Bernard lui a dit avoir éprouvés après avoir bouté le feu.

Il lui a avoué, du reste, n’avoir plus éprouvé la même détente après les incendies suivants, “ de sorte qu’il avait regretté ”.

J’eusse été curieux de savoir si cette étrange satisfaction du boute-feu et cette détente n’avaient aucune relation avec la jouissance sexuelle ; mais malgré que je sois du jury, je n’ose poser la question, craignant qu’elle ne paraisse saugrenue.