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On appelle les témoins : la mère de la fillette d’abord ; mais elle n’a rien vu et tout ce qu’elle peut dire, c’est que, lorsque rentrant du travail, elle a trouvé dans la rue sa petite en train de pleurer, elle a commencé par lui allonger deux taloches.

A présent c’est le tour de l’enfant[1]. Elle est propre et gentille ; mais on voit que l’appareil de la justice, ces bancs, cette solennité, l’espèce de trône où sont assis ces trois vieux messieurs bizarrement vêtus, que tout cela la terrifie.

— Voyons, n’ayez pas peur, mon enfant ; approchez.

Et, comme hier déjà, on fait monter la petite sur une chaise, afin qu’elle soit à la hauteur où la Cour est juchée, et que le président puisse entendre ses réponses. Il les

  1. Hier déjà nous avions vu comparaître une enfant ; une fillette à peu près du même âge que celle-ci, et flanquée de sa mère également. Mais, certes, leur aspect plaidait en faveur de l’accusé et a beaucoup contribué, je suppose, à son acquittement. La mère avait un air de macquerelle, et tandis que le coupable sanglotait de honte sur le banc des accusés, la “ victime ” avançait très résolument vers la Cour. Comme elle tournait le dos au public, je ne pouvais voir son visage, mais les premiers mots que lui dit le Président, après que, pour l’avoir plus près de son oreille, il eût fait monter la petite sur une chaise : “ Voyons ! ne riez pas, mon enfant, ” éclairèrent suffisamment le jury. Et encore : — Vous avez crié ? — Non, Monsieur, — Pourquoi, à l’instruction, avez-vous dit que vous aviez crié ? — Parc’que j’m’étais trompée.