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même pas des bandits ; je veux dire qu’ils profitaient de la société, mais n’étaient pas insurgés contre elle. Ils cherchaient à se faire du bien, non à faire du mal à autrui… etc. Voici ce que se disaient les jurés, désireux d’une sévérité pondérée. Bref, ils se mirent d’accord pour condamner, mais sans excès ; pour reconnaître la culpabilité, sans circonstances atténuantes, mais dépouillée également des circonstances aggravantes. Celles-ci pendaient au bout de ces questions : Le vol a-t-il été commis la nuit ?… à plusieurs ?… dans un édifice habité ?…, avec fausses-clefs ou effraction ?

Et comme il était de toute évidence que le vol avait été commis, et ne l’avait pu être autrement, les jurés, tout naturellement, et malgré ce qu’ils s’étaient promis, se trouvèrent entraînés à répondre : oui à toutes les questions.

— Mais, Messieurs, disait un des jurés (le plus jeune et qui paraissait seul avoir quelques rudiments de culture), répondre non à ces questions ne veut point dire que vous croyez qu’il n’y a pas eu d’effraction, que cela ne se passait pas la nuit, etc. ; cela veut dire simplement que vous ne voulez pas retenir ce chef d’accusation.

Le raisonnement les dépassait.

— Nous n’avons pas à entrer là-dedans, ripostait l’un. Nous devons simplement répondre à la question. Monsieur le chef du jury, veuillez la relire.

— “Le vol a-t-il été commis la nuit ?”

— J’pouvons tout de même pas répondre : non, disaient les autres.