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L’un des jurés manque à l’appel. On n’a reçu de lui aucune lettre d’excuses ; rien ne motive son absence. Condamné à l’amende réglementaire : trois cents francs, si je ne me trompe. Déjà l’on tire au sort les noms de ceux qui sont désignés à siéger dans la première affaire, quand s’amène tout suant le juré défaillant ; c’est un pauvre vieux paysan sorti de la Cagnotte de Labiche. Il soulève un grand rire général en expliquant qu’il tourne depuis une demi-heure autour du Palais de Justice sans parvenir à trouver l’entrée. On lève l’amende.

Par absurde crainte de me faire remarquer, je n’ai pas pris de notes sur la première affaire ; un attentat à la pudeur (nous aurons à en juger cinq). L’accusé est acquitté ; non qu’il reste sur sa culpabilité quelque doute, mais bien parce que les jurés estiment qu’il n’y a pas lieu de condamner pour si peu. Je ne suis pas du jury pour cette affaire, mais dans la suspension de séance j’entends parler ceux qui en furent ; certains s’indignent qu’on occupe la Cour de vétilles comme il s’en commet, disent-ils, chaque jour de tous les côtés.

Je ne sais comment ils s’y sont pris pour obtenir l’acquittement tout en reconnaissant l’individu coupable des actes reprochés. La majorité a donc dû, contre toute vérité, écrire « Non » sur la feuille de vote, en réponse à la question « : X… est il coupable de… etc. » Nous retrouverons le cas plus d’une fois et j’attends pour m’y attarder.