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mérite pas d’échapper. Comme disait l’avocat général, citant un mot célèbre : le recéleur fait le voleur. Montrons que nous avons compris, et laissons retomber le châtiment sur le premier. Nous rentrons dans la grand’salle tout amusés déjà, avec des sourires de sympathie pour les pauvres jurés supplémentaires.

A son tour la Cour se retire. Elle revient au bout d’un instant. Le Président en effet fait grise mine.

— Messieurs, dit-il, je suis désolé d’avoir à relever, sur la feuille que vous m’avez remise, un illogisme qui rend votre vote non valable, — une distraction évidemment — et qui va me forcer, à mon grand regret, de vous prier de retourner dans la salle de délibération pour mettre d’accord vos réponses. Vous votez : oui pour le recel ; non, pour le vol. Pour qu’il y ait recel, il faut qu’il y ait eu vol. On ne peut pas receler le produit d’un vol qui n’a pas été commis.

Evidemment ; mais c’est cet illogisme apparent qui précisément nous plaisait. Nous pensions être libres de condamner qui nous voulions ; et, condamner le receleur en acquittant le voleur, n’était-ce pas sous-entendre que nous estimions qu’il y avait eu recel de plus de marchandises que les vols en question n’en avaient apportées, recel d’autres denrées, du produit d’autres vols, dont le ministère public n’avait pas saisi les auteurs. Décidément nous nous surfaisions notre importance. Nous sommes rappelés au sentiment de la limite de nos pouvoirs.

Nous rentrons en file dans la petite salle de délibération.