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ne briseront pas la carrière de ces pères de famille, pour les beaux yeux de l’accusation et de la noble Compagnie de l’Etat. Certains déjà se réjouissent à penser à la tête que fera tantôt le Président quand, sur les réponses des jurés, qui, sur toute la ligne, se préparent à voter “ non coupable ”, force sera d’acquitter tous les prévenus. Quelle belle fin de session ce sera. Les journaux vont en parler pour sûr !

Le Président sans doute a eu vent de ces dispositions ; son front lorsqu’il réapparaît devant nous à la reprise de séance, nous semble un tantinet rembruni. Nous écoutons le réquisitoire ; nous écoutons les plaidoiries. Dans la crainte que quelqu’un de nous ne défaille, on a pris soin de nommer deux jurés supplémentaires qui se tiennent prêts à relayer. Et nous prenons grand’pitié d’eux durant la délibération. Malgré que nous soyons d’accord et tous décidés par avance, cette délibération durera plus d’une heure et demie, le chef du jury se refusant obstinément à sérier les questions et nous forçant à voter pour presque chacune. Enfermés dans une petite salle à part, les jurés supplémentaires doivent s’amuser ! Ont-ils au moins des journaux et des cigarettes ? On prie le garde de service d’aller s’en informer.

Un point reste assez délicat : nous ne voulons pas condamner ces chapardeurs, c’est entendu ; mais, sur le bout du banc, se tenait une vieille sorcière de recéleuse à la tignasse déteinte et à la voix éraillée, qui ne