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luxes niais, des prodigalités saugrenues… Mais pour dire à quel point l’instinct d’un enfant peut errer, je veux indiquer plus précisément deux de mes thèmes de jouissance : l’un m’avait été fourni bien innocemment par George Sand, dans ce conte charmant de Gribouille, qui se jette à l’eau, un jour qu’il pleut beaucoup, non point pour se garer de la pluie, ainsi que ses vilains frères ont tenté de le faire croire, mais pour se garer de ses frères qui se moquaient. Dans la rivière, il s’efforce et nage quelque temps, puis s’abandonne ; et dès qu’il s’abandonne, il flotte ; il se sent alors devenir tout petit, léger, bizarre, végétal ; il lui pousse des feuilles par tout le corps ; et bientôt l’eau de la rivière peut coucher sur la rivière le délicat rameau de chêne que notre ami Gribouille est devenu. — Absurde ! — Mais c’est bien là précisément pourquoi je le raconte ; c’est la vérité que je dis, non point ce qui me fasse honneur. Et sans doute la grand’mère de Nohant ne pensait guère écrire là quelque chose de débauchant ; mais je témoigne que nulle page d’Aphrodite ne put troubler nul écolier autant que cette métamorphose