Page:Gide - Si le grain ne meurt, 1924.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ernestine, la bonne des Démarest, — tandis que la famille en deuil, dans le salon, retenait ses pleurs auprès de ma tante, qui, muette, immobile paraissait toute diminuée, — Ernestine, dans la pièce voisine, poussait de grands sanglots dans un fauteuil, criait par intervalles respiratoires :

— Ah ! mon bon maître ! Ah ! maître aimé ! Ah ! maître vénéré ! — se secouait, se trémoussait, faisait tant, qu’il me parut d’abord que tout le chagrin de ma tante pesait sur elle et que ma tante s’en était déchargée sur Ernestine, comme on donne une valise à porter.

Je ne pouvais comprendre à cet âge (j’avais dix ans) que les lamentations d’Ernestine s’adressaient à la galerie, tandis que Marie n’élevait les siennes que parce qu’elle ne les croyait pas entendues. Mais j’étais alors on ne peut moins sceptique, et, de plus, parfaitement ignorant, incurieux même, des œuvres de la chair.

Au musée du Luxembourg, il est vrai, où Marie me menait parfois — et où j’imagine que mes parents m’avaient conduit d’abord, désireux d’éveiller en moi le goût des couleurs et des lignes — j’étais attiré beaucoup