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de se fiancer au cocher de nos voisins de campagne. Elle allait quitter notre maison pour toujours. Or, la veille de son départ je fus réveillé, au cœur de la nuit, par les bruits les plus étranges. J’allais appeler Marie, lorsque je m’avisai que les bruits partaient précisément de sa chambre ; du reste ils étaient bien plus bizarres et mystérieux qu’effrayants. On eût dit une sorte de lamentation à deux voix, que je peux comparer aujourd’hui à celle des pleureuses arabes, mais qui, dans ce temps, ne me parut pareille à rien ; une mélopée pathétique, coupée spasmodiquement de sanglots, de gloussements, d’élans, que longtemps j’écoutai, à demi dressé dans le noir. Je sentais inexplicablement que quelque chose s’exprimait là, de plus puissant que la décence, que le sommeil et que la nuit ; mais il y a tant de choses qu’à cet âge on ne s’explique pas, que, ma foi ! je me rendormis, passant outre ; et le lendemain, je rattachai tant bien que mal cet excès au manque de tenue des domestiques en général, dont je venais d’avoir un exemple à la mort de mon oncle Guillaume Démarest :