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les caresses de Rose, l’âtre et le fumet du rôt tournant devant le feu de sarments.

Tant qu’on n’avait pas vu ma grand’mère on pouvait douter s’il y avait rien au monde de plus vieux que Rose ; c’était merveille qu’elle pût faire encore quelque service ; mais grand’mère en demandait si peu ! et, quand nous étions là, Marie aidait au ménage. Puis Rose enfin prit sa retraite, et avant que ma grand’mère se résignât à aller vivre à Montpellier chez mon oncle Charles, on vit se succéder chez elle les plus déconcertants spécimens ancillaires. L’une grugeait ; l’autre buvait ; la troisième était débauchée. Je me souviens de la dernière : une salutiste, dont, ma foi, l’on commençait d’être satisfait, lorsque ma grand’mère, certaine nuit d’insomnie, s’avisa d’aller chercher, dans le salon, le bas qu’elle achevait éternellement de tricoter. Elle était en jupon de dessous et en chemise ; sans doute flairait-elle quelque chose d’anormal ; elle entr’ouvrait avec précaution la porte du salon, le découvrait plein de lumières… Deux fois par semaine, la salutiste « recevait » ; c’était dans l’appartement de grand’mère d’édifiantes réunions, assez courues car,