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menses platanes ; entre l’eau libre et l’eau qui travaillait au moulin, une sorte d’îlot où s’ébattait la basse-cour. À l’extrême pointe de cet îlot, je venais rêver ou lire, juché sur le tronc d’un vieux saule et caché par ses branches, surveillant les jeux aventureux des canards, délicieusement assourdi par le ronflement de la meule, le fracas de l’eau dans la roue, les mille chuchotis de la rivière, et plus loin, où lavaient les laveuses, le claquement rythmé de leurs battoirs.

Mais le plus souvent, brûlant la Fon di biau, je gagnais en courant la garrigue, vers où m’entraînait déjà cet étrange amour de l’inhumain, de l’aride qui, si longtemps, me fit préférer à l’oasis le désert. Les grands souffles secs, embaumés, l’aveuglante réverbération du soleil sur la roche nue, sont enivrants comme le vin. Et combien m’amusait l’escalade des roches ; la chasse aux mantes religieuses qu’on appelle là-bas des « prega-Diou », et dont les paquets d’œufs, conglutinés et pendus à quelque brindille, m’intriguaient si fort ; la découverte, sous les cailloux que je soulevais, des hideux scorpions, mille-pattes et scolopendres !