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creusée de grottes, avec des arcs, des aiguilles et des escarpements pareils à ceux des falaises marines ; puis au dessus, la garrigue rauque, toute dévastée de soleil.

Marie, qui se plaignait sans cesse de ses cors, montrait peu d’enthousiasme pour les sentiers raboteux de la garrigue ; mais bientôt enfin ma mère me laissa sortir seul et je pus escalader tout mon soûl.

On traversait la rivière à la Fon di biau (je ne sais si j’écris correctement ce qui veut dire, dans la langue de Mistral : fontaine aux bœufs) après avoir suivi quelque temps le bord de la roche, lisse et tout usée par les pas, puis descendu les degrés taillés dans la roche. Qu’il était beau de voir les lavandières y poser lentement leurs pieds nus, le soir, lorsqu’elles remontaient du travail, toutes droites, et la démarche comme anoblie par cette charge de linge blanc qu’elles portaient, à la manière antique, sur la tête. Et comme la « Fontaine d’Eure » était le nom de la rivière, je ne suis pas certain que, de même, ces mots « fon di biau » désignassent précisément une fontaine : je revois un moulin, une métairie qu’ombrageaient d’im-