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l’air en était embaumé loin à la ronde ; certains penchaient leur face au dessus de l’eau, comme dans la fable que l’on m’avait apprise, et je ne voulais pas les cueillir ; d’autres disparaissaient à demi dans l’herbe épaisse ; mais le plus souvent, haut dressé sur sa tige, parmi le sombre gazon, chacun brillait comme une étoile. Marie, en bonne Suissesse, aimait les fleurs ; nous en rapportions des brassées.

La Fontaine d’Eure est cette constante rivière que les Romains avaient captée et amenée jusqu’à Nîmes par l’aqueduc fameux du Pont du Gard. La vallée où elle coule, à demi-cachée par des aulnes, en approchant d’Uzès, s’étrécit. Ô petite ville d’Uzès ! Tu serais en Ombrie, des touristes accourraient de Paris pour te voir ! Sise au bord d’une roche dont le dévalement brusque est occupé en partie par les ombreux jardins du duche ; leurs grands arbres, tout en bas, abritent dans le lacis de leurs racines les écrevisses de la rivière. Des terrasses de la Promenade ou du Jardin public, le regard, à travers les hauts micocouliers du duché, rejoint, de l’autre côté de l’étroite vallée, une roche plus abrupte encore, déchiquetée,