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J’aimais passionnément la campagne aux environs d’Uzès, la vallée de la Fontaine d’Eure et, par dessus tout, la garrigue. Les premières années, Marie, ma bonne, accompagnait mes promenades. Je l’entraînais sur le « mont Sarbonnet », un petit mamelon calcaire, au sortir de la ville, où il était si amusant de trouver, sur les grandes euphorbes au suc blanc, de ces chenilles de sphinx qui ont l’air d’un turban défait et qui portent une espèce de corne sur le derrière ; ou, sur les fenouils à l’ombre des pins, ces autres chenilles, celles du machaon ou du flambé qui, dès qu’on les asticotait, faisaient surgir, au dessus de leur nuque, une sorte de trompe fourchue très odorante et de couleur inattendue. En continuant la route qui contourne le Sarbonnet, on gagnait les prés verdoyants que baigne la Fontaine d’Eure. Les plus mouillés d’entre eux s’émaillaient au printemps de ces gracieux narcisses blancs dits « du poète », qu’on appelle là-bas des courbadonnes. Aucun Uzétien ne songeait à les cueillir, ni ne se serait dérangé pour les voir ; de sorte que, dans ces prés toujours solitaires il y en avait une extraordinaire profusion ;