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voyait écarter de son assiette le morceau qu’elle préférait.

De chez Fabregas arrivaient également des entremets, méritoires mais peu variés. À vrai dire on en revenait toujours à la sultane, dont aucun de nous n’était fou. La sultane avait forme de pyramide, que parfois surmontait, pour le faste, un petit ange en je ne sais quoi de blanc qui n’était pas comestible. La pyramide était composée de minuscules choux à la crème, enduits d’un caramel résistant qui les soudait l’un à l’autre et faisait que la cuillère les crevait plutôt que de les séparer. Un nuage de fils de caramel revêtait l’ensemble, l’écartait poétiquement de la gourmandise et poissait tout.

Grand’mère tenait à nous faire sentir que, faute de mieux seulement, elle nous offrait une sultane. Elle faisait la grimace. Elle disait :

— Eh ! Fabregas !.. Fabregas ! Il n’est pas varié !

Ou encore :

— Il se néglige.

Que ces repas duraient longtemps, pour moi toujours si impatient de sortir !