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mère s’y précipitait à son tour et, vite, avant que Rose fût partie au marché ; révisait le menu et décommandait les trois quarts.

— Eh ! bien, Rose ! ces gelinottes ? criait grand’mère, au déjeuner.

— Mais ma mère, nous avions ce matin les côtelettes. J’ai dit à Rose de garder les gelinottes pour demain.

La pauvre vieille était au désespoir.

— Les côtelettes ! Les côtelettes ! répétait-elle, affectant de rire. — Des côtelettes d’agneau ; il en faut six pour une bouchée…

Puis, par manière de protestation, elle se levait enfin, allait quérir dans une petite resserre, au fond de la salle à manger, pour parer à la désolante insuffisance du menu, quelque mystérieux pot de conserves, préparé pour notre venue. C’étaient le plus souvent des boulettes de porc, truffées, confites dans de la graisse, succulentes, qu’on appelait des « fricandeaux ». Ma mère naturellement refusait.

— Té ! le petit en mangera bien, lui !

— Mère, je vous assure qu’il a assez mangé comme ça.