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prenait sur ses genoux le tricot interrompu.

Grand’mère tricotait des bas ; c’est la seule occupation que je lui connusse. Elle tricotait tout le long du jour, à la manière d’un insecte ; mais comme elle se levait fréquemment pour aller voir ce que Rose faisait à la cuisine, elle égarait le bas sur quelque meuble, et je crois bien que personne ne lui en vit jamais achever un. Il y avait des commencements de bas dans tous les tiroirs, où Rose les remisait au matin, en faisant les pièces. Quant aux aiguilles, grand’mère en promenait toujours un faisceau, derrière l’oreille, entre son petit bonnet de tulle enrubanné, et le mince bandeau de ses cheveux gris jaunâtre.

Ma tante Anna, sa nouvelle bru, n’avait point pour grand’mère l’affectueuse et respectueuse indulgence de maman ; tout ce qu’elle désapprouvait, tout ce qui l’irritait chez mon oncle, elle en faisait sa mère responsable. Elle ne vint, je crois bien, qu’une seule fois à Uzès pendant que ma mère et moi y étions ; nous la surprîmes aussitôt qui faisait la rafle des bas.

— Huit ! j’en ai trouvé huit ! disait-elle à ma mère, à la fois amusée et exaspérée