Page:Gide - Si le grain ne meurt, 1924.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

effusions, mélange de congratulations, de réponses et de questions, chacune, sourde comme un pot, n’entendant rien de ce que lui disait sa commère ; et leurs voix mêlées, durant quelques instants, couvraient complètement celle du malheureux pasteur. Certains s’en seraient indignés qui, en souvenir des époux, excusaient les veuves ; d’autres, moins rigoristes, s’en amusaient ; des enfants s’esclaffaient ; pour moi, un peu gèné, je demandais à n’être point assis à côté de ma grand’mère. Cette petite comédie recommençait chaque dimanche ; on ne pouvait rêver rien de plus grotesque ni de plus touchant.

Jamais je ne saurai dire combien ma grand’mère était vieille. Du plus loin que je la revois, il ne restait rien plus en elle qui permît de reconnaître ou d’imaginer ce qu’elle avait pu être autrefois. Il semblait qu’elle n’eût jamais été jeune, qu’elle ne pouvait pas l’avoir été. D’une santé de fer, elle survécut non seulement à son mari, mais puis à son fils aîné, mon père ; et longtemps encore, ensuite, nous retournions à Uzès, ma mère et moi, aux vacances de