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pect extrêmement robuste, à la voix sans douceur, mais vibrante, au regard sans caresse, mais droit.

Cependant les enfants rentraient du travail, une grande fille et trois fils ; plus fins, plus délicats que l’aïeul ; beaux, mais déjà graves et même un peu froncés. La mère posa la soupe fumante sur la table, et, comme à ce moment je parlais, d’un geste discret elle arrêta ma phrase, et le vieux dit le bénédicité.

Ce fut pendant le repas qu’il me parla de mon grand’père ; son langage était à la fois imagé et précis ; je regrette de n’avoir pas noté de ses phrases. Quoi ! ce n’est là, me redisais-je, qu’une famille de paysans ! quelle élégance, quelle vivacité, quelle noblesse, auprès de nos épais cultivateurs de Normandie ! Le souper fini, je fis mine de repartir ; mais mes hôtes ne l’entendaient pas ainsi. Déjà la mère s’était levée ; l’aîné des fils coucherait avec un de ses frères ; j’occuperais sa chambre et son lit, auquel elle mit des draps propres, rudes et qui sentaient délicieusement la lavande. La famille n’avait pas l’habitude de veiller tard, ayant celle de se lever tôt ; au