Page:Gide - Si le grain ne meurt, 1924.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une femme m’ouvrit, à qui je racontai que je m’étais perdu, que d’être sans argent ne m’empêchait pas d’avoir faim et que peut-être on serait assez bon pour me donner à manger et à boire ; après quoi je regagnerais mon wagon remisé, où je patienterais jusqu’au lendemain.

Cette femme qui m’avait ouvert ajouta vite un couvert à la table déjà servie. Son mari n’était point là ; son vieux père, assis au coin du feu, car la pièce servait également de cuisine, était resté penché vers l’âtre sans rien dire, et son silence, qui me paraissait réprobateur, me gênait. Soudain je remarquai sur une sorte d’étagère une grosse bible, et, comprenant que je me trouvais chez des protestants, je leur nommai celui que je venais d’aller voir. Le vieux se redressa tout aussitôt ; il connaissait mon cousin le pasteur ; même il se souvenait fort bien de mon grand’père. La manière dont il m’en parla me fit comprendre quelle abnégation, quelle bonté pouvait habiter la plus rude enveloppe, aussi bien chez mon grand’père que chez ce paysan lui-même, à qui j’imaginais que mon grand’père avait dû ressembler, d’as-