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pourquoi j’ai commencé ce récit. — Le train devait me ramener à Uzès pour dîner ; mais je lisais le Cousin Pons. C’est peut-être, de tant de chefs-d’œuvre de Balzac, celui que je préfère ; c’est en tout cas celui que j’ai le plus souvent relu. Or, ce jour-là, je le découvrais. J’étais dans le ravissement, dans l’extase, ivre, perdu…

La tombée de la nuit interrompit enfin ma lecture. Je pestai contre le wagon qui n’était pas éclairé ; puis m’avisai qu’il était en panne ; les employés, qui le croyaient vide, l’avaient remisé sur une voie de garage. — Vous ne saviez donc pas qu’il fallait changer ? dirent-ils On a pourtant assez appelé ! Mais vous dormiez sans doute. Vous n’avez qu’à recommencer, car il ne part plus de train d’ici demain.

Passer la nuit dans cet obscur wagon n’avait rien d’enchanteur ; et puis je n’avais pas dîné. La gare était loin du village et l’auberge m’attirait moins que l’aventure ; au surplus je n’avais sur moi que quelques sous. Je partis sur la route, au hasard, et me décidai à frapper à la porte d’un mas assez grand, d’aspect propre et accueillant.