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du médecin comme indiscrète, voire impie, et mourut sans avoir admis qu’on l’appelât.

Certains s’étonneront peut-être qu’aient pu se conserver si tard ces formes incommodes et quasi paléontologiques de l’humanité ; mais la petite ville d’Uzès était conservée tout entière ; des outrances comme celles de mon grand’père n’y faisalent assurément point tache ; tout y était à l’avenant ; tout les expliquait, les motivait, les encourageait au contraire, les faisait sembler naturelles ; et je pense du reste qu’on les eût retrouvées à peu près les mêmes dans toute la région cévenole, encore mal ressuyée des cruelles dissensions religieuses qui l’avaient si fort et si longuement tourmentée. Cette étrange aventure m’en persuade, qu’il faut que je raconte aussitôt, bien qu’elle soit de ma vingtième année :

J’étais parti d’Uzès au matin, répondant à l’invitation de Guillaume Granier, mon cousin, pasteur aux environs d’Anduze. Je passai près de lui la journée. Avant de me laisser partir, il me sermonna, pria avec moi, pour moi, me bénit, ou du moins pria Dieu de me bénir… mais ce n’est point