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père avait accaparé toute l’aménité dont pouvait disposer la famille, de sorte que rien plus ne tempérait, des autres membres, l’air coriace et refrogné.

Mon grand’père était mort depuis assez longtemps lorsque je vins au monde ; mais ma mère l’avait pourtant connu, car je ne vins au monde que six ans après son mariage. Elle m’en parlait comme d’un huguenot austère, entier, très grand, très fort, anguleux, scrupuleux à l’excès, rigide, et poussant la confiance en Dieu jusqu’au sublime. Ancien président du tribunal d’Uzès, il s’occupait alors presque uniquement de bonnes œuvres et de l’instruction morale et religieuse des catéchumènes.

En plus de Paul, mon père, et de mon oncle Charles, Tancrède Gide avait eu plusieurs enfants qu’il avait tous perdus en bas âge, l’un d’une chute sur la tête, l’autre d’une insolation, un autre encore d’un rhume mal soigné ; mal soigné pour les mêmes raisons apparemment qui faisaient qu’il ne se soignait pas lui-même. Lorsqu’il tombait malade, ce qui du reste était peu fréquent, il prétendait ne recourir qu’à la prière ; il considérait l’intervention