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bocaux cristallisaient, autour de tiges rigides, ce qu’il m’expliquait être des sels de zinc, de cuivre ou d’autres métaux ; il m’enseignait que, d’après le nom du métal, ces implacables végétations étaient dénommées arbres de Saturne, de Jupiter, etc. Mon oncle, en ce temps-là, ne s’occupait pas encore d’économie politique ; j’ai su depuis que l’astronomie surtout l’attirait alors, vers quoi le poussaient également son goût pour les chiffres, sa taciturnité contemplative et ce déni de l’individuel et de toute psychologie qui fit bientôt de lui l’être le plus ignorant de soi-même et d’autrui que je connaisse. C’était alors (je veux dire : au temps de ma première enfance) un grand jeune homme aux cheveux noirs, longs et plaqués en mèches derrière les oreilles, un peu myope, un peu bizarre, silencieux et on ne peut plus intimidant. Ma mère l’irritait beaucoup par les constants efforts qu’elle faisait pour le dégeler ; il y avait chez elle plus de bonne volonté que d’adresse, et mon oncle, peu capable ou peu désireux de lire l’intention sous le geste, se préparait déjà à n’être séduit que par des faiseurs. On eût dit que mon