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nomme des « trompettes de Jéricho », dont sont restées si fort gravées dans ma mémoire, auprès des lauriers roses, la splendeur et l’étrangeté. On avançait prudemment à cause des serpents, inoffensifs du reste pour la plupart, dont nous vîmes plusieurs s’esquiver. Mon père musait et s’amusait de tout. Ma mère, consciente de l’heure, nous talonnait en vain. Le soir tombait déjà quand enfin nous sortîmes d’entre les berges du fleuve. Le village était encore loin, dont faiblement parvenait jusqu’à nous le son angélique des cloches ; pour s’y rendre, un indistinct sentier hésitait à travers la brousse… Qui me lit va douter si je n’ajoute pas aujourd’hui tout ceci ; mais non : cet angélus, je l’entends encore ; je revois ce sentier charmant, les roseurs du couchant et, montant du lit du Gardon, derrière nous, l’obscurité envahissante. Je m’amusais d’abord des grandes ombres que nous faisions ; puis tout se fondit dans le gris crépusculaire, et je me laissai gagner par l’inquiétude de ma mère. Mon père et Anna, tout à la beauté de l’heure, flânaient, peu soucieux du retard. Je me souviens qu’ils récitaient des